Lorsque sa mère racontait à la jeune Sunniva comment elle avait rencontré son père, elle commençait toujours par ces mots : « Il était une fois, dans la forêt aux abords d’un village nommé Tromsø, une jeune fille bien solitaire. Elle vivait cachée des autres parce qu’elle avait peur de leurs regards et de se montrer au grand jour. La jeune fille avait un savoir inexploité par la plupart des villageois qu’on appelait la magie du Seidr. Seules les völvas en étaient dignes et les autres personnes exploitants leurs dons étaient considérés comme des « Seidokas » et étaient très mal vus par les autres. Ayant reçu cet enseignement de sa mère, qui l’avait eu de sa mère avant elle, la jeune fille refusait d’abandonner un tel trésor familial. Elle décida donc de vivre recluse dans sa maison, ne descendant que lorsqu’elle voulait vendre ses herbes, s’acheter de la nourriture ou pour les grandes fêtes. Un jour, alors qu’elle allait chercher des herbes, la jeune herboriste rencontra un jeune homme à l’apparence robuste. Il n’était pas particulièrement beau, mais il dégageait un charisme qui aurait pût faire chavirer n’importe quelle jouvencelle. Mais la jeune fille était trop effrayée par lui et elle parti sans même répondre à la salutation que le jeune homme lui envoya ». À partir de là, la jeune fille devenue mère racontait à sa fille la persévérance du jeune homme pour attirer ses faveurs. Elle avait des larmes dans les yeux quand elle lui apprenait qu’il avait accepté sa condition et de garder son secret le jour où il l’avait épousé. Elle pinçait finalement les joues de sa petite fille quand elle contait que de cet amour était né un bonheur de plus que son mari avait tenu à appeler « Sunniva », le don du soleil.

C’est ainsi que Sunniva vécue son enfance : entourée de sa mère herboriste et de son père charpentier au milieu des bois. Elle se souvient encore des matins où, en écoutant sa mère lui apprendre les bases de la magie du Seidr, elle pouvait sentir l’odeur de la sciure du bois et le bruit des outils de son père caressant le bois pour lui donner une nouvelle vie. Une vie simple et reculée dans les bois, elle apprit à distinguer les herbes, à comprendre les bruits qui la peuple et ne pas craindre la faune qui s’y cache. Son père lui fabriqua son premier arc à l’âge de six ans et lui appris à s’en servir. Un arc qui devint comme un membre à part entière de son corps et sans lequel elle se déplace rarement. Chaque année son père en fabriquait un nouveau, l’adaptant à la taille de sa fille qui grandissait.

C’est un matin de sa huitième année que Sunniva eût sa première vision. Celle de sa mère lui souriant, puis des mains de celle-ci dont s’échappait un sang aussi noir qu’un corbeau d’Odin. Elle en parla à sa mère qui crût tout d’abord à un simple cauchemar. Seulement voilà, la vision continuait de lui apparaître chaque nuit puis s’arrêtèrent soudainement le jour où sa mère développa les premiers symptômes d’une maladie qui allait la conduire inévitablement vers la mort. Ses parents avaient dû se rendre à l’évidence, leur fille était une Völva. La nature de cette vision aurait dû être funeste mais malgré son chagrin à l’idée de perdre sa femme son père était convaincu que les dieux les avaient bénis en confiant un tel don à leur enfant. Sa mère, elle y voyait le signe divin que les femmes de sa famille n’étaient pas des personnes du mal, des « sorcières » pratiquant la magie noire, comme le murmuraient régulièrement les villageois. Depuis ce jour, le secret s’intensifia autour de la petite maison, il ne fallait surtout pas que les autres apprennent pour ce don. Sunniva était trop jeune et ses parents avaient bien vu la Völva du village devoir tout sacrifier pour son rôle. Ils ne voulaient pas que leur enfant soit obligée de suivre ce chemin si elle ne le désirait pas. Mais au fond, il y avait une autre raison pour laquelle ils devaient garder ce secret. Si jamais la nature de « Seidkona » de sa mère était avérée aux yeux des autres villageois que penseraient-ils de Sunniva. La petite fille connaissait déjà les bases de la magie du Seidr et les manier était devenu naturel pour elle. Les Völvas ont beau pouvoir l’utiliser, de quel oeil cette pratique serait vue si la Völva était fille de « Seidkona » ? Terrifiés par l’absence de réponse à cette question le charpentier et l’herboriste décidèrent que la petite völva développerait ses dons dans le secret le plus absolu jusqu’à ce qu’ils soient sûrs qu’elle ne serait pas chassée ou désavouée pour ses origines familiales.

Les années passaient, et Sunniva devint peu à peu une jeune femme. L’absence de sa mère fût difficile pour la Völva qui se sentit bien seule perdue dans cette forêt. Quand son père partait pour de longues campagnes il lui arrivait de désobéir et de pratiquer ses dons jusqu’aux abords du village. Mais isolée des autres, elle rêvait surtout d’être une goutte d’eau parmi la mer. De se fondre dans la foule et partager ce qu’elle savait avec quelqu’un. Sans son père, elle apprit à être autonome et à se débrouiller tout en se perfectionnant à l’art du tir à l’arc. Mais sans sa mère, la jeune fille devint de moins en moins sûre d’elle et de ses capacités. C’est pour cela qu’à ses vingt-et-un ans elle annonça à son père qu’elle allait continuer d’apprendre la magie du Seidr avec un cercle de Seidkona dont lui parlait sa mère quelques fois. Folker, le charpentier, dût se rendre à l’évidence et laisser sa fille partir.

Après un an à les chercher, son voyage la conduisit jusqu’à un coin reculer des montagnes enneigées où les Seidkonas bannies de leurs villages avaient trouvé refuge. Profitant de l’enseignement et de l’expérience de chacune d’entre elles, Sunniva étendit son champ de connaissances de cette pratique. Pour la première fois depuis longtemps elle pût se former, sans avoir peur d’être découverte, à la magie du Seidr et pourtant, là-bas aussi elle ne trouvait pas sa place. Car alors qu’au village les Völvas étaient respectées et aimées, au sein de ce cercle elles étaient jalousées et haïes. « Pourquoi elles étaient des créatures du mal alors que les Völvas qui pratiquaient aussi cette forme de magie étaient adulées ? Tout ça parce qu’elles parlent aux dieux !», cette discussion était une rengaine qui revenait dès que l’occasion se présentait. Alors, Sunniva se faisait discrète et ne laissait aucun indice sur ses visions.

Quelques jours après ses vingt-cinq ans, les dieux lui envoyèrent un message. Un message qui lui demandait de rentrer à Torsø. Elle ne savait pas si c’était une demande, un conseil, un ordre ou un avertissement, mais les dieux avaient parlé et elle devait obéir. Elle leur était entièrement dévouée depuis son enfance et s’était promis de ne jamais faillir à leurs yeux. Alors, après avoir témoigné ses derniers respects aux Sedkonas, elle repartit vers son village. Plus elle approchait et plus elle sentait à quel point Tromsø et sa forêt lui avaient manqué. Mais lorsqu’elle arriva, tout ce qu’elle connaissait et qui lui était familier avait été bouleversé. Les dieux qui s’invitaient chez les hommes, les royaumes qui s’entrecroisaient et la menace d’un dragon qui pesait sur Tromsø… Elle en était sûre, même si elle ne savait pas encore qu’elle rôle elle allait jouer dans cette histoire, elle avait eût raison de rentrer chez elle…