« Tu es née au cœur de l’hiver. Et je suis ton père. C’est tout ce que tu as à savoir. » Ainsi parlait Leif. Si l’ase était le plus tendre des pères, son mutisme au sujet de la mère de ses filles étaient irrévocable. Nul ne saurait son nom, nul ne saurait jamais s’il s’agissait de la même femme qui avait donné naissance à Var et Silke. Ce secret serait emporté dans sa tombe. Leif n’était pas un dieu puissant ou même particulièrement connu à Asgard. Il était une divinité parmi d’autres, inconnu des mortels et mal connu des dieux. Peut-être était-ce la raison pour laquelle il s’évertua tant à donner une solide éducation à ses filles, les incitant à apprendre la magie et surpasser tous les autres élèves. Les parents veulent souvent voir leurs enfants réussir là où ils ont échoué. Ou bien vouait-il simplement une meilleure vie pour elles, les sortant de l’indifférence dans laquelle il était. Si Var comblait ses espérances par sa grande maîtrise de la magie, ce n’était pas le cas de Silke. Trop impulsive, trop bornée et trop impatiente. On disait souvent d’elle que des démons se cachaient sous sa peau. Ils n’étaient peut-être pas si éloignés de la vérité. Silke n’était pas faîte pour les civilités, ni même pour la ville. Si elle appréciait l’attention qu’on lui portait quand elle portait une jolie robe et qu’elle laissait sa sœur lui brosser les cheveux avec soin, cette joie était de courte durée car on lui préférait toujours son aînée. Var était faîte, elle, pour cette vie de cour, pour sourire gracieusement tout en réalisant de magnifiques travaux d’aiguilles. Elle essayait d’avoir ce charmant sourire elle aussi mais à chaque fois le miroir lui renvoyait l’image d’une fillette montrant les crocs. Alors elle arrachait les rubans de ses cheveux, déchirait sa robe et courait jusqu’à perdre dans la forêt. Mais elle ne pleurait pas non, elle ne versait jamais de larmes même si son dos se courbait et qu’elle était secouée de sanglots, ses yeux étaient et seront toujours secs.

Sa monture lancée au triple galop, Silke traversait la forêt, un sourire carnassier sur ses lèvres rouges. Sa sombre chevelure était entremêlées de feuilles et brindilles qui s’y étaient malicieusement glissées durant sa course effrénée. Elle mit pied à terre et se pencha pour observer le sol. Des traces menaient jusqu’au lac, non loin de la frontière du royaume d’Asgard. Remontant en selle, la jeune fille reprit sa course. Arrivant sur les rives du plan d’eau, elle scruta les environs. Puis elle l’aperçut. Le loup géant qui depuis quelques jours ravageait les rares maisons en bordures de la forêt. Des dieux s’étaient lancés à sa poursuite mais Silke était une bien meilleure chasseuse et elle avait rapidement trouvé sa piste. Les poils hirsutes de la bête se démarquait de la verdure environnante. L’animal sentit sa présence et tenta de fuir mais la chasseresse bandit son arc et décocha ses flèches. Le loup s’effondra lourdement sur le sol. Fière d’elle, elle ramena la bête à Asgard pour annoncer que les habitants n’étaient plus en danger. Mais au lieu des félicitations et des remerciements qu’elle espérait, on blâma son imprudence et son irrespect envers les fonctions des soldats à qui revenaient la tâche de tuer la créature. La chasse aux montres n’était pas une affaire de femmes et encore moins celle d’une jeune fille. « Pourquoi ne pas prendre exemple sur ta sœur, Silke ? Elle est devenue la déesse des pactes. » « Pour me pavaner en robe et bijoux toutes la journée ? Je ne veux pas être Silke la douce, la tendre, la belle. Je suis Silke la furie, la sauvage, l’enflammée. » Elle enviait sa sœur, mais elle ne lui en voulait pas. C’était aussi absurde que de reprocher à une biche d’être douce et délicate. Que pouvait-elle être d’autre ? « Alors il faut que tu apprennes le maniement des armes et que toute cette force soit mise au service d’une noble cause : Odin. » « Tu me demandes d’être une valkyrie ? Cela te rendrait-il fière de moi ? » demanda-t-elle avec ce ton si étrange qu’on ne savait jamais si elle était sincère ou moqueuse. « Je suis toujours fier de toi Silke. » Le lendemain Silke se présenta aux valkyries et demanda à être entraînée au combat. Elle s’acharna jusqu’à faire saigner ses mains mais elle ne se présenterait pas devant le Père de Tout avant d’être une guerrière confirmée.

Debout face au soleil couchant, Silke observait les reflets des derniers rayons de soleil sur les vagues. Les embruns venaient caresser ses cheveux et hérisser les poils de sa peau de loup, celui qu’elle avait tué des années auparavant et qu’elle portait avec fierté afin que nul n’ignore ce dont elle était capable. « Ainsi donc les dieux peuvent mourir eux aussi ? Je croyais cette possibilité révolue. Et même si cela devait se produire, je ne pensais pas un seul instant que cela pouvait t’arriver Père. Quelle chose étrange de venir prendre ton âme pour t’emmener au Valhalla. Comme cela me déroute de te voir festoyer dans la grande salle. Mort et pourtant toujours présent sous mes yeux. » Tout aussi surprenant et dérangeant de remplir le verre d’Angeya, fille du roi des mers. Var avait toujours été proche de la famille de la mer et Silke l’accompagnait la plupart du temps. La disparition de l’aînée du seigneur des océans l’avait beaucoup affectée. Après la mort d’un proche les mortels ne pouvaient que l’imaginer errant à Helheim ou festoyant au Valhalla. Les dieux pouvaient croiser un ami, un parent dans la grande halle des guerriers défunts ou se contenter de les savoirs aux bons soins de Hel. Mais aucun parents ne devraient porter le deuil de ses enfants. C’était une peine qu’elle n’aurait jamais à endurer. Parfois elle se demandait ce qu’elle pourrait ressentir si elle donnait la vie mais cette idée n’était plus envisageable. Elle avait prononcé ses vœux et elle en était fière. La vie de valkyrie convenait parfaitement à son tempérament emporté et quelque peu violent. Mais parfois elle éprouvait le besoin d’être seule et de courir à travers la forêt comme autrefois. Les démons qui se cachaient sous sa peau n’avaient pas complètement disparus après tout et elle demeurait encore un peu cette enfant sauvage. Même si elle appartenait à la garde d’Odin, elle chérissait encore sa liberté et elle partait parfois seule affronter un monstre quelconque qui menaçait un village à Vanaheim ou à Asgard. Parfois elle était réprimandée, parfois non. Le Père de Tout était le seul dont elle acceptait les ordres. Aucun autre ne pouvait lui dire ce qu’elle devait faire. Ceux qui avaient osé le regrettaient amèrement. « Tu ne sais pas rester à ta place, femme. » Silke toisa l’homme en fronçant les sourcils puis elle éclata de rire. « Femme ? Est-ce donc la seule chose qui me définit ? Sais-tu seulement que j’ai un nom ? » Ses dents avaient le même éclat que les crocs d’une bête féroce quand elle lui empoigna la gorge et le souleva de terre. « Appelle-moi encore femme, traite-moi encore comme un être inférieur et je t’arrache la langue. »


Dans le vacarme de la guerre, la chevauchée des valkyries s’apparentait à une douce mélodie. Silke observait les affrontements l’œil aux aguets. Un homme attira son attention. Talonnant sa monture ailée elle s’élance vers lui. Elle mit pied à terre et frappa sa lance éblouissante comme la lune et solide comme le granit sur son bouclier d’azur. Les nains, habiles forgerons, avaient façonné ses armes à sa demande et l’avaient satisfaite au-delà de ses exigences. Le mortel l’observa avec stupeur. « Affronte moi mortel. Si ta force et ta bravoure sont aussi grandes que je le pressens, je t’emmènerai au Valhalla. » L’homme fit tournoyer sa hache en s’avançant vers elle. Il ne suffit que de quelques échanges avant qu’elle ne prenne son âme pour rejoindre le royaume des dieux. « Tu es terriblement élégante en armure Silke.» « C’est un trait commun aux filles de Leif. Une élégance en toutes circonstances et une colère redoutable. » répondit-elle en lançant un clin d’œil complice à sa sœur qui se tenait non loin d’elle. La plèbe asgardienne s’était rassemblée pour assister au départ des valkyries commandées par Freyja qui allait mener l’assaut sur la forteresse d'Utgard à Jötunheim pour libérer Idunn. Le combat fut acharné, les Jötuns étant des ennemis redoutable par leur taille et leur force. Mais la gardienne de l’arbre de l’immortalité fut sauvée et de nombreux banquets furent organisés pour fêter son retour ainsi que le printemps et la prochaine naissance d’un héritier princier. Mais une ombre vint troubler la fête, une ombre que l’on croyait oubliée depuis longtemps. Jörd accusait le Père de Tout de l’avoir enfermé durant toutes ces années, ce qui aux yeux de Silke ne pouvait être qu’un odieux mensonge. Jamais Odin ne se serait laissé aller à une telle bassesse. Mais la confiance aveugle de Silke ne faisait pas le poids face aux doutes et aux revendications des Elfes et des Vanes. La guerre était déclarée. Var disparue d’Asgard, tout comme le prince doré et son épouse. Silke était partagée entre l’incompréhension et l’indignation. Pourquoi sa sœur ne soutenait-elle pas leur souverain ? Pourquoi fuir sans même la prévenir ? Les mensonges de cette mesquine déesse provoquaient des trahisons et des fuites qui accablait la cité d’or. Elle était troublée par le manque de foi en les paroles du souverain des dieux. Tous ces traîtres regretteront de s’être opposé au Père de Tout.