Il était étonnant de voir à quel point les plus grands bouleversements peinaient parfois à altérer cette force cyclopéenne que possédait le quotidien sur l'esprit du peuple. Des milliers d'années à présent que leur race foulait Asgard et le tout Yggdrasil, des milliers d'années pour des milliers d'histoires, de légendes et de chansons. Et tout cela ne s'était fait que sous un seul et unique règne : celui d'Odin.
L'on aurait pu croire que son abdication en aurait chamboulé plus d'un, après tant et tant d'années. A coup sûr, une telle chronologie laissait d'impérissables marques et naïvement peut-être, le Prince s'était imaginé que la transition d'un souverain à un autre créerait un tantinet plus d'anxiété au sein de la population.
Pourtant, force lui était de constater que l'essence même du quotidien n'avait subit aucune altération de ces changements pourtant majeurs. Il n'était pas là question de son propre quotidien, cela, c'était une toute autre affaire, une affaire complexe et dense, pour ne pas changer les habitudes. Il était plutôt question de la citée en elle-même, et plus directement de ses habitants.
Avec trois ou quatre compagnons, ils s'étaient ainsi éclipsés du palais pour fendre la ville d'un pas de promenade tandis qu'autour d'eux, les rues s'illuminaient des lanternes qui prenaient vie à mesure que Sol terminait sa course pour laisser place à son frère. C'est durant le trajet que l'oeil de Tyr s'attarda avec un brin d'étonnement sur l'impression de tranquillité et d'insouciance qui émanait des rues et des âmes qui les foulaient, papotant librement et vaquant à leurs occupations comme si rien n'avait changé.
Comme souvent, une part de lui le percevait d'un bon oeil, l'autre moins, quoi qu'il en soit, se laisser entraîner par ses amis et quitter ses sempiternelles propres habitudes maussades ne lui ferait aucun mal pour ce soir. Il s'était passé tellement de choses dernièrement qu'il avait l'impression qu'il ne s'était plus diverti depuis des lustres. C'était certainement le cas en fait, et dans toute sa subtilité, c'était son ami Dagmar qui l'avait fait remarqué aux autres. Aussitôt, Falko et Kori avaient sautés sur l'occasion et sans pouvoir refuser, Tyr s'était vu embrigader vers la taverne de l'avenue principale de la citée.
Une fois sur place bien sûr, le reconnaissant aussitôt, le tavernier s'était empressé de les saluer puis de les installer à une table tranquille, tout au fond de l'endroit, insistant lourdement pour leur offrir le premier pichet d'hydromel. Pour ne pas l'offusquer, Tyr avait fini par accepter et depuis, leurs petits frères n'avaient plus cessés de défiler à leur table. Heureusement, le tavernier leur avait attitré la plus jolie serveuse de l'établissement, ce qui ne manquait pas de titiller ses trois compères qui se disputaient son attention en le faisant beaucoup rire au passage.
Terminant son verre d'hydromel, Dagmar échappa un long soupir contenté doublé d'un grognement de plaisir.
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Que Beyla m'entende ! Vous pouvez garder la serveuse, c'est elle que j'épouserai un jour ! qu'il rugit en se pourléchant les babines.
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Son breuvage te monte à la tête l'ami, méfie-toi ! Toutes les abeilles ont un dard ! remarqua Falko.
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Argh, je lui en ficherai un moi, de dard ! HAHA !-
Par pitié, maugréa la Justice d'un oeil mi scandalisé mi amusé.
Je devrai te faire couper la langue pour un tel manque de respect, pauvre crapule... en provoquant l’hilarité des trois autres.
Sur ces mots, il balaya la salle d'un bref regard et, comme leur serveuse n'était pas en vue, il se saisit du pichet vide pour gagner le comptoir sous le prétexte de les réapprovisionner. Lorsqu'ils en venaient à ce genre d'humour, mieux valait qu'il s'éloigne pour ne pas une fois de plus tenir le rôle du rabat-joie. Il eut bien fait d'ailleurs car c'est ainsi qu'il remarqua qu'un petit groupe de Valkyrie occupait une table de l'autre côté de la salle. Tous leurs visages lui semblaient familier à force de les croiser, mais il n'y en avait qu'un seul qu'il pouvait réellement identifier comme un visage amical. Il ébaucha un sourire en observant Svanhild l'espace de quelques instants. Puis comme sa serveuse attitrée passait non loin de lui, il l’interpella discrètement pour lui demander d'aller porter un peu du breuvage au miel aux guerrières de sa part. Il ne voulait pas interrompre leur réunion et ce serait une manière plus généreuse de les saluer !
(c) Bloody Storm