On ne cesse de répéter que le temps guéri les blessures. Qu'il faut laisser le temps au temps, et que les fleurs finissent toujours par refleurir encore plus belles qu'elle ne le furent autrefois. Que d'un rameau affaibli pouvait s'élever le plus majestueux des chênes, que d'une tempête naissait un splendide arc-en-ciel. Mais cela n'avait jamais été vrai. Du moins, pas selon elle. Cet arc-en-ciel, Roskva ne l'avait jamais vu. Le seul qu'elle puisse un jour se vanter d'avoir contemplé fut le Bifrost, et Odin lui-même sait combien elle aurait préféré que cela ne soit pas le cas. La jeune femme aux cheveux de la lune ne s'était jamais vraiment remise de ce qui autrefois l'arracha à sa vie paisible à laquelle elle tenait tant et bien qu'endurcie et ayant fait preuve d'un courage immense, ses blessures ne se sont jamais complètement refermées pour une peau nouvelle. Si il était possible pour elle de remonter le temps, sans doute l'aurait-elle fait pour effacer cette misérable erreur qui, pour toujours, aura gâché sa vie à laquelle elle donnait tant d'amour.


Tout commença il y a bien des années, dans les vastes champs enneigés de Midgard. Une famille pauvre de paysans vivait là depuis des générations entières, conservant dans leur foyer tout l'amour et la sérénité qu'ils émanaient. Un homme, qui avait hérité de la ferme familiale par son père vivait donc là avec sa femme et leur deux magnifiques enfants à la chevelure blanche comme les astres. Un garçon, nommé Thialfi ainsi qu'une autre petite fille de trois ans sa cadette, prénommée Roskva. Pour cette dernière, les liens du sang avaient toujours eu une importance primordiale sur tout le reste et aussi, haute comme trois pomme, elle ne s'imaginait jamais partir de sa ferme et elle et son frère étaient liés par un amour très fort.
Lors d'un soir qui s’annonçait être ordinaire, les Thorfrid ne tardèrent pas à découvrir que les Nornes avaient d'autres projets pour eux. Thialfi et le patriarche étaient sortis plus tôt dans la journée, afin de trouver de quoi subvenir aux besoins de la famille qui n'avait pas eu un repas consistant depuis des jours -chose qui d'ailleurs, se répétait assez régulièrement dans leur quotidien en vue de leurs faibles revenus et les quatre bouches qu'ils devaient nourrir, mais étaient rentrés les mains vides. Cependant, jamais les enfants ne s'étaient plaints de leur condition, étant suffisamment heureux d'être avec leurs parents. Leur mère s'était alors attelée à la préparation d'une simple soupe quand le vent se mit soudainement à frapper contre les vitres. La petite fille curieuse approcha son nez de la vitre et c'est avec grand étonnement qu'elle discerna deux silhouettes émerger de la brume. Les parents avertis, ils restèrent dans un premier temps sur leurs gardes prêt à protéger la famille en cas d'attaque. Mais il en fut en réalité tout autrement, car les frappeurs de porte n'étaient en fait autre que Thor & Loki, les deux frères divins. Pour tout viking, voir un dieu est considéré comme un immense privilège. Mais pour les Thorfrid, recevoir le dieu de la foudre chez eux était bien plus qu'un honneur.
D'un premier abord, l'ambiance entre tous était plutôt tendue. En même temps, comment ne pas être gêné et fasciné par la visite du dieu qu'ils idolatraient ? Les enfants en particulier, ayant toujours entendu de nombreuses histoires sur le tonerre, les observaient avec de grands yeux brillants. Pour les remercier de leur hébergement, Thor sacrifia ses deux boucs pour ravir tout le monde d'un succulent repas. La seule condition était que, personne ne devait abimer les ossements, et ils devaient les rendre intacts. Tout le long du repas, Roskva fut silencieuse. A la fois affamée et gênée, elle englouti sa viande sans se faire prier, heureuse d'avoir pour la première fois depuis longtemps le ventre rassasié. Elle aurait continuer de manger longtemps si, à un certain moment de la soirée, leur père ne les avait pas intimé à aller se coucher. Ce qu'ils firent malgré leur envie de désobéir.
Le lendemain matin, les deux enfants furent reveillés par des hurlements violents, et n'eurent pas de mal a reconnaitre le Tonerre, qui grondait contre leurs parents. Tout à partir de ce moment-là se passa très vite sous le regard incompréhensif de Roskva qui alla contre son frère pour se rassurer. Les divinités reprochaient à ses parents de ne pas avoir respecté la condition de la veille, car l'un des deux boucs boitait. Et la punition s'écrasa sur eux comme une pierre sur une colonie de fourmis. Ils n'eurent pas le temps de réaliser les choses, que les deux enfants se retrouvèrent contre leur gré à Asgard, où ils étaient destinés à finir leurs jours en servitude.



L'arrivée à Asgard fut une déchirure dans le coeur de l'enfant lunaire qui se retrouva perdue au milieu des divins avec son frère. Elle était comme un petit agneau au milieu des lions, aussi ne se passait pas un jour sans qu'elle ne pleure ses parents et ne court dans les bras de son frère pour s'y réfugier. Celui-ci cependant pour la plus grande incompréhension de l'enfant, paraissait s'habituer bien plus rapidement à leur nouvelle vie. Mais comment le pouvait-il ? Après ce que Thor avait osé leur faire... D'une manière inattendue cependant, Roskva fut prise sous l'aile bienveillante de Sol, la déesse du Soleil. N'oubliant pas pour autant, elle trouva en la déesse quelqu'un de différent de tous les autres. En effet elle aussi était née mortelle et fut autrefois arrachée injustement à sa famille avec son frère, et elle aussi haïssait les dieux plus que tout pour leur cruauté. La petite paysanne se mit à admirer alors celle qui se présenta comme sa mère de substitution, et à renier avec elle les autres dieux pour lesquels elle n'éprouvait que du mépris.
Au fur et à mesure des années, la petite Roskva devint grande. Adolescente véhémente et farouche, elle avait désormais réussi à transformer une grande partie de sa peine et s'était forgée un caractère de rebelle qui donnait du fil à retordre à tous ceux qui croisaient sa route. L'éducation de Sol n'y était surement pas anodine, même si depuis toujours elle avait fait parti de ces enfants énergiques qui ne démordaient pas de leurs opinions. La Déesse du Soleil avait malgré elle donné l'occasion à une étincelle de devenir la flamme qu'elle avait toujours supposé être. Elle ne s'était toujours pas habituée à cette vie qui ne lui appartenait pas ainsi qu'à ce monde qui n'était pas le sien. Pas très diplomate, elle n'a trouvé qu'un seul moyen pour se faire remarquer et exprimer son profond mal-être. Être insupportable. Thorfrid. Thorfrid. Qu'est ce qu'elle haïssait son patronyme ! "Sous la protection de Thor", tu parles d'une mascarade, c'était plutôt "Sous les chaines de Thor", qu'il aurait fallu dire. Si sa mère eut l'habitude de lui conter de merveilleux et fantastiques récits en son honneur, la petite mortelle n'aurait jamais pensé une seule seconde que son héro de toujours était en fait le roi des abrutis. Il ne se passait pas une journée sans que la demoiselle ne pense à s'échapper, invente des plans toujours plus farfelus les uns que les autres et qui vacillaient entre la témérité et l’inconscience. Quiconque la regardait pouvait dire qu'elle n'était pas heureuse dans ce palais. La vérité concernant leur enlèvement n'avait pas tardé à être révélée, et depuis ce fameux jour Roskva se mit à rejeter toute la faute sur son frère. C'était de sa faute si ils étaient là aujourd'hui, et elle ne comprenait vraiment pas ce qui le poussait à cirer les bottes du Dieu princier tandis qu'elle ne pensait qu'à retrouver sa liberté. Elle détestait le fait qu'il soit toujours sur ses talons à la veiller, et ne cesse de lui répéter qu'elle n'a pas besoin de lui malgré l'indéniable fait qu'il lui sauve bien trop souvent la vie. Un fossé aussi grand que le Bifrost s'était creusé entre eux, un fossé qui enveloppait tout au fond de lui l'amour fraternel si puissant qui les liait. L'un voulant prouver sa valeur et remerciant le ciel chaque jour pour sa condition qu'il chérissait, et l'autre n'aspirant qu'à s'enfuir et se venger de leur tyran. C'est d'ailleurs ce qu'elle fit. Thor lui tapait tellement sur les nerfs, que tous les prétextes pour lui rendre la pareille était bon. Elle frappait, insultait, se plaignait... Roskva faisait littéralement tout pour rendre la vie du Prince invivable et tenta même une fois de le poignarder en plein cœur. Bien évidemment, elle n'en récolta que honte et humiliation.
Un jour alors, fut le jour de trop. Lors d'une énième tentative d'évasion, l'esclave qui faisait preuve d'une détermination incroyable parvint pour la première fois à atteindre le Bifrost. Elle était si près du but... Elle n'avait pas eut le temps de s'en approcher, que Thor la retrouva et brandit son marteau au-dessus d'elle. Pour la première fois de sa vie, Roskva tressaillit de peur. Une peur forte, la peur de mourir. Voyant toute sa vie défiler dans ses yeux, elle se préparait à rejoindre le Valhalla quand tout à coup Sif s'interposa et lui proposa de la prendre à son service. Si elle aurait été suicidaire, elle aurait refusé. Mais bien qu'elle tenait plus que tout à sa liberté, elle n'aspirait pas à mourir. Ainsi, elle accepta des chaines supplémentaires à ses poignets.



Petit à petit, l'incendie s'apaisa. Bien sûr, cela ne s'est pas fait en un jour mais qu'on le croit ou non, c'est bel et bien arrivé. Quand Lady Sif s'était interposée et l'avait sauvée du marteau de la mort puis qu'elle lui fit don du titre de suivante, Roskva bien que soulagée ne vit pas tout de suite la chance infinie qui s'offrait à elle. . Croyant être deux fois plus enchainée, les débuts furent difficiles, comme tout l'était avec la Midgardienne. Mais Sif ne perdait pas patience et faisait même preuve d'un calme et d'une douceur déstabilisants qui réussir à adoucir un peu la colère que l'humaine ressentait au creux de ses entrailles. La déesse la considérait comme son égal, son amie, et lui accordait une confiance dont elle n'aurait jamais pû imaginer la grandeur. Grâce à elle, Roskva pouvait respirer de nouveau entre les murs du palais sans sursauter au moindre bruit en appréhendant que cela soit la venue du Tonnerre. Grâce à elle, elle s'était faite une amie pour laquelle elle donnerait sa vie. Grâce à elle, elle pouvait descendre de temps à autre sur Midgard pour savoir ce qui s'y passait, et retrouver un peu d'air familier. Avant, elle n'avait jamais pris la peine d'apprendre à connaitre la Princesse étant donné qu'elle était sans arrêt occupée à servir le dieu de la foudre ou à échafauder des plans contre lui. Sif, c'était son amie, son oxygène, ce goût de la liberté qu'elle pouvait enfin retrouver partiellement.
Suite à la disparition des pommes d'or et d'Ydunn, les dieux étaient paniqués à l'idée de devoir vieillir, ce qui amusait grandement la jeune femme. Comment pouvait-on vouloir être immortel ? On devait tellement s'ennuyer ! Quoiqu'il en était, même si elle se délectait de ce spectacle ridiculement satisfaisant, le couple sulfureux que formaient Sif & Thor ne semblait pas voir les choses de la même manière. Après s'être faite violemment repoussée par Thor, la déesse failli commettre l'irréparable et aurait probablement été jusqu'au bout de son geste si la domestique aux cheveux lunaires n'avait pas été là pour lui retirer la dague des mains et la calmer. Sif avait beau lui en vouloir, Roskva ne regrettait pas de l'avoir sauvée et sa rancœur envers Thor n'avait fait que s'agrandir. Malheureusement pour elle, le couple se remit ensemble peut de temps après, ce qui fit grandir son inquiétude à l'égard de sa maîtresse. Peu de temps après ces événements, elle vint une deuxième fois en aide à celle qu'elle considérait comme son amie, lorsqu'Asgard se retrouva attaquée de tous côté par les jötuns et qu'après s'être battue lourdement, elle la retrouva dans un état psychologique catastrophique.
La grossesse de Lady Sif fut surement ce qui fit murir Roskva un peu plus car elle fut à son écoute comme elle ne l'eut jamais été avec personne. Elle veilla sur elle, et n'hésita pas à braver les interdits suites aux complications de la grossesse pour venir en aide à la seule immortelle qu'elle aimait. Elle avait amené un anneau magique à Aegir comme elle le lui avait demandé avant de fuir sur Midgard, elle avait veillé sur le bébé en son absence aux côtés de Thialfi et de la Reine, et se chargeait tant bien que mal lui remonter le moral à la fin de la guerre tandis qu'elle veillait son mari blessé.



Maintenant que les combats avaient cessés, le stresse avait fini par retomber et Roskva s'inquiétait beaucoup moins pour sa future Reine qui attendait son couronnement auprès de Thor. Tous semblaient chamboulés par la nouvelle, certains dépités et d'autres soulagés. Un nouveau roi, une nouvelle ère. C'était peut-être vrai, mais pas pour elle... Même si elle avait Sif pour l'aider à se sentir à l'aise et qu'elle était vraiment heureuse pour elle, jamais Roskva ne réussirait à s'habituer à cette vie qu'on lui a imposé. Elle ne rêvait que de partir, que de s'enfuir, même si ses tentatives autrefois quotidiennes et inconscientes s'étaient métamorphosées en de simples répliques cinglantes et un comportement véhément avec tous ceux qui lui adressent la parole. Elle continuait d'énerver celui qui allait être son Roi, mais avait désormais ses limites pour ne pas risquer une nouvelle fois de rencontrer en face le terrifiant marteau. Elle maudissait toujours son frère pour sa trahison, et le ferait surement jusqu'à la fin de sa vie. Leur amour était grand et même si elle ne l'avouera pas, elle est heureuse qu'il soit là avec elle. Elle maudissait Thialfi, elle maudissait Thor, elle maudissait les Dieux. Souvent, quand elle a un peu de temps libre devant elle, elle s'enferme dans une aile déserte du palais ou va s'isoler dans les jardins afin de s'appliquer à apprendre les chants midgardiens, ceux qui se chantaient dans une taverne avec une choppe d'hydromel à la main, ceux qu'on clamait du crépuscule au matin pour fêter n'importe quelle occasion. Alors, une fois qu'elle était certaine de les connaitre par coeur, elle élevait sa voix et chantait, chantait mélodieusement en fermant les yeux, s'imaginant chanter en coeur avec les Vikings robustes et modestes qui auraient dû être son entourage. Un entourage qui serait son égal et qui pourrait la comprendre. La femme aux yeux clairs comme la plus pure des eaux et à la longue chevelure blanche n'en avait jamais demandé trop. Elle ne voulait pas être heureuse à Asgard. Elle voulait être libre sur Midgard. Au fond d'elle vivait une toute petite lueur d'espoir, celui de revoir un jour ses parents en vie et en bonne santé. Elle était persuadée qu'ils attendaient toujours la visite de leurs enfants disparus et qu'ils ne les avaient pas oublié.