Il y a certaine chose que le temps ne guérira jamais. C’est peut-être une façon de penser un peu défaitiste, mais c’est la sienne. Pour l’homme dans la lune, une seule solution s’est offerte : La résignation. Il a courbé l’échine et a mis un genou à terre face à sa destinée. Il souhaite seulement que les barrières construites dans son subconscient lui permettent de tenir... Il a fini par se convaincre que, s’il refoulait bien profondément sa haine, il pourrait être heureux. Il ne sentirait peut-être plus cette crevasse dans son cœur. Cette mince blessure qui saigne goûte à goûte et qui cause l’érosion de sa volonté. Il arrive au dieu de l’astre lunaire de se demander s’il est dans un rêve. S’il ne dort plus aujourd’hui, c’est peut-être qu’il ne s’est jamais réveillé... Ce serait un rêve bien cruel et morose, mais tellement irréel qu’il ne pourrait pas s’agir d‘autre chose, non ? Comment pourrait-on alors accepter cette sentence injustifiée ? Parfois, quand le fils de Mundilfari réalise qu’il ne se rappel plus très bien des visages de ses parents, il s’efforce de faire revenir les images de son passé. Il ne fait pas cela pour se torturer, mais il a espoir qu’un jour il pourrait comprendre les événements de cette triste journée...

Ce qui lui revient d’abord, c’est l’ouïe. Il se souvient des cris de sa sœur, Sól, qu’on arrachait à la terre de ses ancêtres. Ses suppliques désespérées ne trouvèrent pas écho chez son cadet dont la gorge s’était nouée par la terreur. Il ne comprenait pas. Pourquoi venait-on les prendre, eux qui n’avaient jamais rien fait de mal ? Máni n’était même pas un mortel bien accaparant. Il ne prenait jamais plus de place qu’on ne lui donnait et sa voix ne s’élevait jamais plus haut que celles des autres. Il ne demandait rien et suivait les règles sagement. Si on le remarquait, c’était surtout par la blancheur de sa peau, ses boucles brunes et ses grands yeux qui allaient pour toujours perdre la joie qui les aluminait autrefois. Puis, après le son, la scène se clarifiait dans cette brume de souvenirs perdus. Le Pressé se souvenait du regard épouvanté du couple qui les avait mis au monde. Ces beaux enfants dont ils étaient si fiers allaient leur être enlevés sous leurs yeux et ils ne pourraient rien y faire. Glenn était là lui aussi. Son beau-frère, ce grand et fort mortel, avec lequel le timide Máni s’était lié d’amitié ne semblait plus aussi incroyable avec du recul. Tous transformés en statue de sel, ils assistaient aux conséquences de la vantardise de Mundilfari. La sensation sur sa peau, ce bruissement surnaturel qui cherchait à l’atteindre, avait fait comme un déclic dans l’esprit du futur porteur de lune. Le jeune homme s’était alors mis à courir en essayant en vain de distancer les griffes divines, mais tout comme sa sœur, il ne put y échapper. Ainsi, Máni Mundilfarison courra pour l’éternité...


La morsure du froid est aussi vile que celle des flammes, moins directe, mais tout aussi douloureuse. Elle s’insinue lentement telle une vague de petites aiguilles qui picotent, puis transpercent sans gêne la chair et les muscles. Dans le froid extrême, même respirer devint une tache ardue et Máni a longtemps porté des engelures sur sa peau d’albâtre. Combien de fois était-il convaincu qu’il allait falloir lui amputer une main ou un pied à la fin de sa ronde céleste ? Les marques des basses températures, d’abord d’une noirceur inquiétante, se firent de plus en plus rares grâce à la magie des Ases. Bientôt, la dieu de la lune ne soufra plus du caractère glacé de l’astre lunaire ou même du froid en général. Le jeune homme n’a pas détesté la lune quand il fut lié à elle, il en a eut peur. Cette masse immense et brillante le faisait sentir minuscule, mais la vraie terreur était le monstre qui fut attiré par sa splendeur. Faisant partie des Managarms, fils de Fenrir et de la géante Larnvidia, le loup Skoll et le loup Hati ont pris pour cible les deux mortels qui transportent les astres sur leurs chars. Aggravant leurs punissions, la Haine se mis en tête de déchiqueter cet ancien mortel qui tirait la lune. La nouvelle déité vit ses dernières protestations contre le destin étouffées par les hurlements de la bête. Encore une fois, il ne fait que courir pour sauver sa peau. Máni, constamment sous l’emprise d’un stress intense, ne dort plus du tout. Il a parfois même l’impression d’avoir perdu la raison. Il n’a qu’à fermer les yeux pour sentir l’haleine immonde de la bête sur sa nuque et frissonne à l’idée de ces deux billes jaunes dans l’obscurité qui le fixent. La Haine le guette sans arrêt, attendant patiemment le moment fatidique où il pourrait avaler le dieu. Avec le temps, beaucoup de temps, Máni a appris à aimer cette sphère lumineuse à sa charge. Il espère en faire une sorte de fard pour les âmes égarées dans la nuit. Il souhaite que la lune pourrait en sauver d’autres, faute d’être lui-même secouru.

Quant à Sól, il s’est fait à l’idée qu’il ne pourrait pas la sauver non plus... Leurs destinés, même en étant très semblables, créèrent des personnages complètement opposés. Ils se croisent de manière éphémère à l’aube et au crépuscule. Les éclipses sont pour eux des moments privilégiés, quoique rares, où ils peuvent se retrouver pour une plus grande période de temps. Cela dit, le poids de leurs fardeaux creusa des différents de taille entre le frère et la sœur. Máni n’essaie plus de se battre pour changer son avenir, acceptant que les Nornes ont fait de lui un véritable martyr. Peut-être est-ce la fatigue qui ralentit le cheminement de ses pensées, mais il déplore le caractère bouillant de son aînée qui lui attirera surement des ennuis. Pour sa part, il a compris la leçon. Il vaut mieux ne pas se mettre les dieux à dos… Ce fossé grandissant entre Sól et lui le fait souffrir. Malgré son apparente résignation, l’homme dans la lune ne trouve pas sa place dans la société Asgardienne. Il a essayé de s’en convaincre en se liant d'amitié avec d’autres Ases et, inversement, en se faisant le moins d’ennemis possible au fil des millénaires. Toutefois, il ne peut s’empêcher de regarder Midgard avec envie et curiosité. Il est hypnotisé par ce monde sauvage où tout est imprévisible et brut. Máni sait pertinemment qu’il ne retrouvera pas sa mortalité, mais il ne peut pas s’empêcher de trouver cette fragile existence fascinante. Sa manie de regarder vers le bas lui cause problème lorsque Hati se rapproche dangereusement de son véhicule, mais c'est plus fort que lui. Il a l'impression que son cœur est resté parmi les humains.


La roue tourne et le temps passe, sur son char, le Pressé observe les siècles qui s’envolent pour ne plus revenir. Le monde tombe en poussière, puis renaît de ses cendres tout aussi surement que le Soleil se lève le matin et que la Lune prend le relais dès le crépuscule. Les mortels n’implorent pas souvent le dieu de la lune, mais cela n’empêche pas Máni de veiller sur eux comme il le peut. Il ne demande rien, ni aux êtres humains ni aux dieux, mettant toujours les désirs des autres avant les siens. Dans sa bienveillance, il cherche à amoindrir les dégâts que cause l’entêtement de sa sœur aînée. Il prend le risque de devenir la cible de cette rage destructrice pour tenter de la raisonner. Toutefois, lorsque Sól vint implorer son aide, il ne peut rien lui refuser. Sa surprise fut grande quand il découvrit la grossesse de sa sœur et l’identité de cet homme qui avait su séduire la déité au caractère brûlant. Les enfants de Mundilfari mirent en place un stratagème pour que le Soleil puisse donner naissance dans le plus grand des secrets. L’homme dans la lune demanda donc à Odin la possibilité de faire une éclipse, prétextant se languir de la présence de sa sœur. Rares étaient les demandes du Brillant alors le souverain n’hésita pas à lui accorder ce moment en famille. Quand les astres se rejoignirent enfin, Máni resta aux côtés du Soleil en tachant de se faire le plus utile possible. Dans un mélange de tristesse et amour, ils accueillirent une petite fille dans ce monde si cruel. Le dieu tenta vainement d’encourager sa sœur à garder l’enfant près d’elle, sachant qu’une pareille séparation ne viendrait qu’affliger encore plus son cœur meurtrie. Cela dit, lorsque la nymphe de flamme a une idée en tête, même la froideur de la lune ne peut éteindre le brasier... Il comprenait ses raisons d’éloigner le nouveau-né des Ases, mais il ne pouvait saisir comment elle pouvait s’infliger des tourments supplémentaires. Sól avait toujours été la plus courageuse des deux, il s’en rendait bien compte. Depuis, Máni surveille avec discrétion sa nièce et la regarde grandir avec tendresse. En voyant comment Aldarik prend soin de la fillette, le mortel monte dans l’estime de la Lune et se voit accorder le privilège de ne jamais marcher dans le noir complet lorsque la nuit tombe. À son insu, il y a toujours au moins une lueur pour le guider vers Sunniva. Maintenant que les divinités se sont révélés aux êtres humains, Máni tente de se rapprocher de ce petit ange dont il s’est pris d’affection dès leur toute première rencontre.


L’immortalité est peut-être un privilège aux yeux de certains, mais pour d’autres, ce n’est qu’une chaîne de plus à leurs chevilles. Máni, condamné à voir les mondes vieillir sans jamais s’éteindre avec eux, ne fut pas accablé de tristesse ou de panique lorsqu’Idunn fut enlevée. Il comprenait la gravité de la situation, mais ne leva pas le petit doigt pour aider dans les recherches. Au fond de son cœur, il appréciait cette soudaine impression que son humanité ne s’était pas complètement effacée. Les événements qui suivirent ne l’atteignirent guère plus, exception faite de l’attaque des géants de glace. Une nuit d’horreur où la lumière fantomatique de l’astre éclairait joliment Yggdrasil, le dieu jeta un coup d’œil à l’endroit où se tenait son village d’autrefois. Son aînée lui avait bien raconté ce qu’elle y avait vu quelques millénaires plutôt, c’est-à-dire, cette nouvelle vie que s’étaient offerts Mundilfari et Glen, mais Máni ne tenait pas rancœur aux ombres de son passé. Leur vie était si courte, pourquoi l’auraient-ils gaspillé à attendre leur retour impossible ?Plus loin dans sa ronde céleste, deux petites silhouettes d’enfants apeurés attirèrent l’attention du Pressé. Bil et Hjukin étaient partis chercher de l’eau pour leur mère malade, mais sur le chemin du retour, les deux enfants se retrouvèrent en plein cœur de l’invasion Jötun. La déité ne parvint pas à poursuivre sa course en feignant de n’avoir rien vu malgré les prières des jeunes mortels qui ne lui étaient pas adressées. Quittant son poste sur un coup de tête, Máni dégaina son épée et alla secourir les deux enfants encerclés par de sanguinaires ennemis. Ses pouvoirs liés à la glace ne lui furent pas très utiles contre les géants, mais sa détermination lui fit gagner suffisamment de temps pour attraper les deux enfants et courir loin du danger. Et il court le Compteur d’années, il court loin de la guerre, loin de la Haine et cache sous sa cape deux êtres humains qui ne comprennent pas encore ce qui leur arrive.

De retour sur Asgard, Máni se rend compte qu’il ne sait pas lui non plus quoi faire de ses invités. Lorsque la paix revient, il part à la recherche de la famille de Bil et Hjukin qui a malheureusement perdu la vie durant la bataille. Ils sont donc orphelins et plus le temps passe, plus la divinité lunaire s’attache à eux. Il n’y a pas que Sól qui a rêvé d’avoir une famille et la Lune a du mal à laisser partir ses nouveaux compagnons. Lorsque les choses seraient plus calmes autour du roi, Máni songea à aller demander l’autorisation d’adopter les enfants et de leur octroyer l’immortalité. Même si l’idée de mettre les petits mortels en présence d’Hati ne l’enchante pas, il ne peut pas s’en occuper constamment. Ainsi, la fille Bil l’aiderait dans sa tâche lors de la décroissance de la lune tandis que le garçon Hjukin serait présent lors de la croissance de la lune. Pour le moment, c’est ce qu’il a trouvé de mieux d’ici à ce qu’il ait une audience avec Odin. Cela dit, si les deux enfants choisissaient de repartir sur Midgard, il ne les retiendrait pas. Néanmoins, Máni doit mettre sa requête de côté alors que les alliances entre les royaumes d’Asgard, de Vanaheilm et Alfheim sont brisées. Il regarde les différentes puissances d’un œil critique, trouvant la réaction de chaque camp plutôt exagérée pour une querelle tournant seulement autour de quelques individus. Avoir suivi son instinct, il se serait tenu à l’écart des combats, mais lorsque Sól se lança dans les affrontements en privant Yggdrasil de lumière, il tenta de négocier en sa faveur. En échange de la lumière de la lune pour éclairer les Ases, on serait clément envers la déesse du Soleil lorsque les combats trouveraient une fin. Dans son amour inconditionnel pour ses proches, Máni puise le peu de courage qui lui reste, en espérant que ce serait suffisant pour ce que l’avenir leur réserve…