Les dieux ne naissent pas égaux. Aussi magnifiques et puissants qu’ils sont, ils reflètent parfaitement les comportements des mortels, mas aussi leur sélection sociale. On pourrait commencer cette histoire par un « il était une fois dans un pays très lointain » et cette simple formule d’introduction aurait sans doute suffi à décrire l’immensité du royaume de Vanaheim. Dans les plaines verdoyantes, les champs fertiles coupés par de petits villages et quelques villes qui ne pouvaient qu’envier la glorieuse cité d’Asgard. C’est en ces terres que naquit la petite fille plus tard connue sous le nom d’Herfjoturr. Ses cris, poussés pour se révolter, pour inspirer les premières onces de vies furent vite réduits au silence , quand ses parents découvrirent avec effroi la nature singulière de cet enfant. Elle ne semblait n’avoir aucune autre couleur que ce ton laiteux et ces yeux aussi bleus que le plus profond des océans. Si pour Svàrtsela , son apparence scellait définitivement son secret concernant son impair avec un inconnu quelque mois plus tôt, pour le père , Magna, la jeune enfant était tout simplement une abomination. Une malédiction des Nornes dont il fallait se débarrasser. Si cela n’avait pas tenu à Svàrtsela, Magna aurait sans doute noyé le nourrisson. Mais elle vit, elle grandit, fit ses premiers pas. Il y a des enfants que l’on n’entend jamais, et Herfjoturr était dans ce cas de figure. Elle n’existait pas, était invisible dans le foyer, une bonne main d’œuvre tout au plus, mais ce n’est pas à elle que l’affection de ses parents se tournaient, mais plutôt vers son frère qui naquit quelques années plus tard. Ce frère, elle ne put le côtoyer, elle était le mal, elle ne devait pas le souiller, selon son père. C’est dans un étrange paradoxe qu’elle avait toujours observé de ses yeux d’enfants cette terrible fracture entre parent aimant et parent indifférent.

C’est dans la douleur que la petite fille apprit la vie. En plein conflit contre les Ases, ce n’était pas vraiment une période prospère pour les Vanes. Entre les marchandises que ne s’exportaient qu’à prix très bas, et les mauvaises moissons, Magna prit une décision assez tranchée pour se débarrasser d’Herfjoturr tout en gagnant au change. Il l’envoya dans les vignes voisines comme main d’œuvre en échange de quelques sous. C’est la dernière fois que Herfjoturr vit sa famille. Réelle orpheline, c’est sous les coups qu’elle se mit à la tâche sans mot dire, jour après jour, mois après moi, saison après saison, champs après champs. On lui trouvait toujours quoi faire, et on trouvait toujours de quoi la battre pour la motiver, disait-on. Cela l’endurcit, mais pas assez pour se protéger de la cruauté des Vanes. Vint un jour où un cas de vol causa une grande discussion au sein des saisonniers, et bien sûr on accusa la plus jeune, celle qui ne pouvait pas réellement se défendre. A l’âge de 10 ans , et pour la première fois, Herjottur se défendit. Griffer la main qui vous bat était réellement stupide, et causa la fureur de ses geôliers, mais au moins avant la fin, elle aurait su se rebeller contre la vie de douleur et de rejet qu’elle avait toujours connu. Battue à mort, laissée écorchée et brisée sur un des champs près de la frontière avec Asgard, elle ne sentit plus grand-chose, elle attendait simplement que son calvaire se termine. Mais il semblait que les Nornes avaient d’autres plans pour elle. Comme si ses jeunes années avaient dues être souffrance pour qu’elle puisse renaître.

L’aide inespérée vint d’un Enjerhar patrouillant à la frontière. Qu’il ait remarqué le corps ensanglanté et boueux était un miracle, car le reste d’escadron n’avait fait que passer son chemin. Et c’est là, alors qu’elle était plus proche de la mort que de la vie, qu’elle reçut le premier geste attentionnée de sa vie. Emmitouflant Herjoturr dans sa cape, le garde la ramena sur Asgard. Taisant d’où elle venait, elle resta dans une des caserne où elle fut nourrit, soigné et entrainé. D’abord pour qu’elle puisse avoir de la force, mais quand Odin décida de former des femmes pour devenir de redoutables guerrières destinées à aller chercher les âmes des mortels tombés , Herjoturr fut une des premières à bénéficier d’un entrainement long et pénible afin de devenir une arme d’élite. Les Ases lui avaient donné une seconde vie, un but , elle se sentait appartenir à quelque chose de plus grand qu’elle et de ses yeux de jeune déesse, elle commença à se forger une personnalité qu’elle ne se connaissait pas. Elle s’épanouit, devint des plus redoutables en tant que bretteuse grâce à l’enseignement des Einjerhars qui l’avaient recueillis et à l’éducation que l’un d’eux, Sturla, lui avait conférée. Le seul qu’elle considérait comme un père. Quelques années plus tard, elle fut enfin présentée à Odin, mis genou à terre et formula ses vœux. Elle servirait le roi jusqu’à sa fin. Elle était loin la petite gamine silencieuse, quand elle chevaucha sur son étalon ailé vers Midgard pour ramener son premier mortel.

Les débuts n’étaient pas si faciles. Etant une des premières valkyries, elle hésitait à choisir les éléments censés rejoindre les Einherjars. Mais au fil des descentes, elle apprit comment faire, qui choisir. La seule ombre au tableau de sa nouvelle vie fut la nomination de Freyja en tant que cheftaine des valkyries et la fin du conflit avec les Vanes. Si elle n’avait jamais montré son dédain et sa haine envers les Vanes, il n’en restait pas moins qu’elle aurait préféré les voir morts. Rares étaient ceux et celles qui trouvaient grâce à ses yeux et Freyja n’étaient pas une de ces personnes. Les siècles ne changèrent rien, elle n’oubliait pas son traitement, son abandon, le rejet de Vanaheim à son égard. La première fois qu’elle retourna sur les terres de Vanaheim, à la demande de leur cheftaine, elle réalisait que rien n’avait changé. Elle en profita pour retourner voir sa mère, son père et son frère. Elle était une guerrière à présent, et si momentanément elle vit une lueur de fierté dans les yeux de sa mère, son père la traita de traitre à Vanaheim pour servir Odin et finit par la renier. Ce qui bien sûr, ne fit que couper définitivement la ficelle d’humanité qui restait en son cœur. La noirceur qui menaçait d’éclater, éclata. Elle égorgea son jeune frère devant ses parents, en gage de remerciement pour avoir fait d’elle ce qu’elle était. Puis partit, sachant que personne n’oserait la toucher, notamment à cause de cette paix fraichement négociée.

Durant plus de 3000 ans, Herjoturr chercha les mortels pour les ramener sur Asgard. Elle se forgea une réputation , elle n’était pas la plus tendre des valkyries, arrachant certains malheureux à leur vie sans ménagement. Son apparence avait de quoi en effrayer plus d’un et elle ne s’en offensait plus. Au contraire. Elle était devenue impitoyable, sa haine l’avait rongée siècle après siècle, la rendant ainsi. Elle n’avait pas su tourner la page. Elle n’avait pas réellement eu sa vengeance, mais elle ne pouvait le faire sans décevoir ceux qui lui avaient permis d’être une des plus gradées de sa sororité. Bien des choses avaient changées depuis sa propre formation. Il y avait une aile pour ses sœurs à présent, et une méthode de formation. Elle formait les jeunes recrues avec discipline et sans ménagement. Les valkyries faisaient rêver, mais cela n’était pas une vocation à prendre à la légère.

Et vint alors l’hiver 859, cette fin d’année noir qui marqua la disparition de la déesse Idunn et le commencement de la fin. Herjoturr ne s’était pas étonné que de près ou de loin, les jötuns y étaient mêlés, et alors qu’elle suivait Freyja à Jötunheim avec les autres valkyries, elle combattit la force ennemie avec autant de hargne et de violence nécessaire. Un tel affront n’était pas acceptable. Elle avait ragé quand elle avait réalisé avec les autres que le tout avait été une diversion, et s’était jeté avec les autres dans la défense d’Asgard, pour limiter les dégâts et protéger les habitants. Les jours suivants cette attaque fut consacrés aux morts, aux tombés, mais Herjoturr n’eut pas le temps de réellement s’émouvoir du sort des déités, car son rôle était également de panser les blessures de Tromso, en prenant les plus valeureux tombés lors de leur combat contre les jötuns. La valkyrie, contrairement à d’autres, ne s’était pas non plus émue lorsque l’identité de l’instigateur de cette frappe éclaire fut dévoilée. Loki était ce qu’il était, une bombe à retardement qui allait bien exploser un jour ou l’autre. Elle ne fut présente à son procès que par devoir, et même elle considéra le jugement d’Odin clément à l’égard de la Fourberie. Elle aurait aimé pouvoir autant de discernement concernant ses vieilles blessures. Et alors elle observa et aida Asgard à se relever. Elle partagea la table des valkyries au banquet, s’étonnant à apprécier la quiétude et l’innocence du printemps qui s’éveillaient en chaque être présent. Elle leva même sa chope pour féliciter le couple princier quand Thor annonça la venue prochaine d’un futur enfant. Nouvelle année, nouvelle vie, nouvelles missions. Elle espérait que 860 ne soit pas la continuité des plans des Nornes.

Mais il semblait que ses prières ne furent pas entendues. Alors que grondait une ombre sur Asgard, et qu’elle sentait voler dans l’air une certaine électricité, une information qui lui échappait et qui faisait tourner la tête à la nature elle-même, toutes les valkyries furent sommées à Vanaheim. Freyja était désireuse de leur parler. Elle avait écouté le discours hypocrite de la cheftaine en serrant les dents avant de cracher ces pensées. Elle ne comptait pas rester à Vanaheim et encore moins sous la coupe de Freyja. Elle lui avait obéi par le passé car Odin avait placé sa confiance en Freyja, mais maintenant qu’elle lui tournait le dos, elle ne comptait pas servir une Vane. Elle avait du sang vane, mais son cœur était à Asgard. Elle profita donc du portail ouvert pour s’enfuir de Vanaheim avec toutes les valkyries ayant décidé de rester loyales à Odin. Arrivée à Asgard, on parlait déjà d’une guerre imminente. Dès lors, Herjoturr décida de préparer les plus jeunes, à se battre, dans le but de leur donner une chance de survivre. Celui qui voulait gagner une guerre, devait la préparer. Les évènements entre Vanaheim, Alfheim et ensuite la disparition soudaine de Thor et de Sif ne faisaient que lui confirmer que la décision d’Odin tomberait rapidement. Et ainsi, à la fin de l’automne 860, elle se trouva aux côtés des valkyries et Einherjar en se demandant où était Thor, où était Odin. Si les grands leaders adverses étaient là, son roi manquait à l’appel. Mais pas le temps de se poser de questions. La bataille commença, et si elle avait commencé à trancher et fouetter à cheval, elle termina à pieds assez rapidement. Ce qu’elle touchait du bout de ses lames tombaient, jusqu’à ce qu’un invité inattendu s’incruste dans la fête. Elle eut un sourire presque mauvais quand le dragon de Yggdrasil enflamma les rangs ennemis. Certes, la bête ne faisait pas réellement de différence entre alliés et ennemis, mais cela leur donnèrent un fort avantage. Elle allait donner un coup fatal à un soldat d’Alfheim quand Heimdall les interrompit tous. La fin de cette sanglante bataille marqua la réalisation que tout ceci avait été une folie énorme.

S’en suit alors une longue période à bouger des corps vers Asgard, à panser les blessures, à compter les valkyries tombées. Tant de pertes pour rien, cela avait de quoi chagriner même le cœur endurci de Herfjoturr. Elle apprit avec amertume l’indépendance de Vanaheim, et la scission de leur sororité. Alors maintenant qu’ Odin s’était retiré, elle devait se faire une idée du futur roi, aurait-il autant sa confiance et sa loyauté que le père ? Le temps le dirait. En attendant, elle continuait à être une valkyrie, allant sur Midgard pour traquer les meilleurs et potentiels recrues pour remplir les places vacantes de ceux qui sont tombés lors de la bataille de la plaine de Nornheim.

En voilà une dame qu'il faut redouter, mieux vaut l'avoir dans ses amis que dans ses ennemis.

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