Je me rappelle de mon enfance.
Dernière née de la fameuse déesse Freyja et du dieu Ód. L’Amour et le Blé. Une petite fille aux cheveux blonds. Deux petites filles aux cheveux blonds. Deux enfants se ressemblant comme deux gouttes d’eau. Je me souviens de comment elles courraient dans les couloirs de marbre en riant, laissant trainer derrière elles des mélodies de voix, s’envolant pour lécher les plafonds décorés. Toujours l’une avec l’autre, elles ne se quittaient jamais. Impossible de les distinguer au premier regard. Les yeux devaient être entraînés. L’âme également. Car les deux enfants étaient bien différentes l’une de l’autre. L’optimisme et le pessimisme. L’impulsive et l’indépendante. Cependant, cela n’empêchait en rien la parfaite entente entre les deux sœurs.
Mais, il manquait quelque chose.
Où était-elle ? Où était la mère aimée ? Ód avait dû expliquer à ses filles que leur mère avait préféré quitter Vanaheim pour aller à Asgard où résidaient ses filles aînées. Pourquoi les avaient-elles préférées à elles ? Elle se rappelle. Oui, elle se rappelle avoir eu du mal à comprendre. N’étaient-elles pas aimées ? Leur père les a choyées, adorées, cela est certain. L’enfant qu'elle était avait éprouvé une rancœur sourde envers cette mère inconnue. Cette étrangère qui étonnamment, la faisait souffrir par son absence. Si les rencontres entre mère et filles étaient nombreuses, elle se souvient de son malaise face à elle. Elle n’avait rien à lui dire. Gersimi, en revanche, semblait toujours chercher son approbation. Sentiment que Hnoss ne partageait et ne partage toujours pas. Pourquoi vouloir briller aux yeux d’une mère qui nous ignore ? Elle s’en détachait bien vite, comme d’un vêtement sali et désormais inutile. Elle oubliait bien vite son amertume pour imiter le comportement de sa génitrice : l’indifférence.

Je me rappelle mon adolescence.
Devenue déesse des richesses, une nouvelle confiance vint tapisser sa peau. Elle put s’épanouir. La jeune fille éclot enfin. Souriante et douce était-elle. Traits qu’elle partageait avec sa jumelle. Celle-ci montra encore plus d’attachement à ses aînées et à sa mère, ce qu’elle prouva par un parcours de combattante et d’illusionniste formée par la reine Frigga. En revanche, la sœur ne s’intéressait que peu de l’avis que sa mère se faisait d’elle. Elle suivit Gersimi plus par obligation que par réel plaisir à Asgard et refusa tout bonnement de suivre un entraînement guerrier. Elle montra en revanche une réelle disposition à la magie, art qu’elle trouvait tout à fait charmant et bienveillant.
Mais il manquait quelque chose.
Qui étaient donc ces sœurs lointaines ? Qui étaient ses princesses d’Asgard ? Si Gersimi éprouvait une admiration sans borne pour elle, Hnoss se montrait plus curieuse et intriguée qu’autre chose. C’est donc naturellement qu’elle voulut les rencontrer. Elle se rappelle. Oui, elle se rappelle de ses premiers pas maladroits vers ses aînées. Si le courant est immédiatement passé entre Nanna et elle, sa légère timidité rendit le contact un peu plus difficile avec Sigyn. Cependant, il lui semble qu’aujourd’hui, leurs relations évoluent dans le bon sens. En revanche, Idunn la préférée, Idunn l’adorée la laisse de marbre. Que dire de cette fille adulée ? Elle n’en a aucune idée. Elles entretiennent ce qu’il faut pour rester cordiales l’une envers l’autre. Elle se souvient s’être fait un point d’honneur à ne pas se mêler de sa vie. Elle ne la rencontre d’ailleurs que très rarement. C’est probablement mieux comme cela.

Je vis aujourd’hui.
J’ai surmonté des épreuves aujourd’hui. La mise en danger de mon immortalité. L’enlèvement d’Idunn. L’inquiétude face à cela. Inquiétude que je ne veux toujours pas accepter. Ma peur face à la menace courant sur les mortels. Comment avons-nous pu laisser les choses dégénérer ainsi ? J'étais abasourdie. Après des centaines d'années de sérénité... Pourquoi maintenant ?
Les frasques de Loki. L'hypothétique culpabilité du Dieu du Chaos. Je n'ai pas voulu y croire. Plus pour soutenir Sigyn que par conviction. Malgré tout, les preuves se sont amoncelées et il m'a fallut y repenser. Si sa mise en geôle m'a choquée, je n'en fus pas surprise.
Le retour de Jörd. Cette déesse oubliée. Cette mère bafouée. Cette déesse qui a remué le couteau dans la plaie juste ouverte. Je n'ai pas accepté ses agissements, même si, au fond, je voulais la comprendre.
Mais les choses ont dégénéré à Vanaheim. Après la destruction de mon monde et d'Asgard, la reconstruction ne s'est pas faite paisiblement. Jörd a tendu la perche vers la rébellion. Vers la remise en question d'Odin. Perche que nous avons saisi à pleine main. J'ai sincèrement pensé que se battre était obligatoire. Pour nos droits. Pour notre liberté.
Aujourd'hui, le couronnement. Pour harmoniser les peuples, quoi de mieux que de changer de roi ? J'en fus très heureuse. Sur le moment. Maintenant, le doute m'envahit. Thor saura-t-il remplacer son père ? Je veux y croire, même si je reste indécise.
Tout ceci s’est enchaîné si vite.
Mais dans toute cette noirceur, je sais que la vrai richesse vient du cœur et qu’il est de mon devoir de protéger ce qui est précieux.