Je l’entends hurlée dans la pièce voisine et le chat norvégien que je lui ai offert en guise de cadeau de mariage s’est lové en ronronnant sur mes genoux, comme s’il essayait de me réconforter, de me faire comprendre, que dis-je espérer, que tout va bien se passer. C’est notre premier enfant et Eira est la femme de ma vie. Je la respecte entre toute même s’il est vrai qu’elle m’en fait voir des vertes et des pas mûres. Elle gère notre foyer d’une main de fer dans un gant de velours et je l’honore dès que je le peux et ce soir c’était son tour. Elle allait m’offrir un ou une héritière. Cela fait de longues heures que le travail a commencé et une sage-femme accompagnée d’autres femmes du village sont venue l’aider dans cette prouesse qu’est la naissance. Les femmes mourant en couche sont une chose qui ne sort pas du commun. Cela arrive et on les honore avec des funérailles dignes. Les femmes sont des battantes, la mienne en fait partie. Évidemment je sais qu’il y a des exceptions mais il est rare qu’une femme viking n’en soit pas une. Et en cet instant, je sais que ma femme livre l’un de ses plus grand combats : donner la vie. Je prie à intervalle régulier qu’ils l’épargnent et qu’elle reste auprès de moi. Je ne suis pas certain d’être capable de vivre sans elle. Dès que je l’ai vue, j’ai su. Elle est et restera la femme qui a su outre passé ma carapace de gros dur. Les cris s’enchainent à côté mais plus leur intensité faiblit rapidement jusqu’à ce qu’il y en est un qui m’arrache le cœur de la poitrine. Puis le silence. Ce silence ne dure pas longtemps avant que les braillements de ma descendance se mettent à raisonner dans toute la maison. L’enfant est vivant. Mon cœur rate un battement et je me lèvre avec brusquerie. Le chat saute de mes genoux en lâchant un feulement auquel je ne prête aucune attention. Je suis éminemment attiré par notre chambre conjugale. Je m’approche à pas feutré alors que l’enfant continue de geindre. Mais lorsque je m’apprête à poser la main sur la poignée de porte, celle-ci se dérobe et la sage-femme apparait avec un poupon dans les mains qu’elle me remet.

« C’est une fille, Toril… »

Je prends ma fille dans mes mains abimées par le travail de la terre. Je suis un propriétaire agraire et un éleveur. Ça ne m’est pas naturel de tenir un enfant, un bébé, dans mes bras tant et si bien que je me sens gauche et maladroit et que la peur de laisser tomber le bambin par inadvertance me retourne le cœur. Je pose mes yeux opalins sur le visage du poupon. Il a des cheveux fins et blond comme les blés. Ses yeux sont bleus tirant vers le gris avec de légère irisation violette. Elle est magnifique. Je suis coi de bonheur. Puis je relève les yeux sur la chambre pour m’enquérir de l’état de santé de ma femme et l’horreur se teint sur mon visage, effaçant toutes traces de gaité. Eira git dans notre lit taché du sang de la naissance, blanche, les trait tirés et sans vie. Les larmes me montent aux yeux et je serre ma fille contre moi, dernier vestige de ma femme et de notre amour. Son sang et le mien coule dans ses veines. Je repose mon regard sur la sage-femme qui m’étudie.

« Je suis désolée Toril, elle a perdu trop de sang. Mais tu as une fille maintenant qui, elle, est en pleine forme. Je t’adresserais une nourrice pour ses premiers mois ensuite tu pourras la nourrir avec le lait de tes vaches… »

Je la regarde, muet et me fichant de ce qu’elle me dit. Je n’ai à l’esprit que cette petite chose fragile que je tiens dans mes bras, ce dernier lien avec feu ma femme. Je sens la chaleur du petit être contre moi et je sais. Aina. Elle s’appellera Aina.


Le vent caresse ma peau échauffé par la froideur de l’hiver arrivant. Mes longs cheveux volent autour de mon visage poupin. Je suis assise dans ce champ à l’orée de la forêt et mes yeux bleus, certains disent qu’ils sont violets, rivés sur la petit bourgade du nom de Tromsø. C’est ici que je suis née, il y a maintenant une vingtaine d’années, à quelque chose prés. Je vois d’ici la fumée montant des cheminées et alors que le ciel tombe lentement mais surement sur la terre sous la forme de petits flocons de neige, je me sens chez moi. Cette ville, ces terres et ces rivières sont mon chez moi. Je resserre la fourrure qui me sert de manteau sur les épaules et me lève, mon père doit m’attendre. Mon père est l’homme le plus bon que je connaisse et le cœur le plus bienveillant aussi. Il ne s’est jamais remis de la mort de ma mère mais m’a voué tout son amour. Il m’a élevé avec bonté, gentillesse et beaucoup de patience. Il a fait de moi la fille que je suis. C’est grâce à lui que je suis si forte et si douce à la fois, cet homme je le vénère. Mais voyez-vous, cet homme est malade. L’hiver est entrain de lui voler ses forces, c’est pourquoi, malgré ces temps difficiles et hostiles, je me suis aventurée dans la forêt afin de trouver les herbes médicinales qui m’aiderons peut être à la sauvé. Après tout c’est à ça que je me suis vouée plus jeune, à la guérison. Le vent lape les pans de ma peau qui ne sont pas protégées et remonte la capuche de ma peau sur ma tête pour me mettre à l’abri puis je prends le chemin de la maison familiale. Je dévale les pentes, évites les pierres et les glissades à cause de l’herbe rendue glissante par les flocons qui ne tiennent pas au sol. Ce n’est qu’une question de temps cependant. Je me dépêche et lorsque j’arrive, je m’attelle directement à concocter une infusion de plante médicinale. J’entends les râles et mes toux de mon père qui se meurt. Ses poumons sont touchés. Cela arrive malgré la robustesse de notre peuple. Je me précipite à son chevet, place le dos de ma main sur front et constate que la fièvre le ronge. Je prends un linge d’eau fraiche et le dépose avec délicatesse sur son front mais intérieurement je sais qu’il faut que je me prépare. La maladie le ronge, il est épuisé et sous-alimenté car les toux ne lui permettent de garder quelque chose dans l’estomac. La fin est proche et mon cœur se désagrège dans ma poitrine. J’essaie cependant, ensuite, de lui faire boire quelques gorgée d’infusion qu’il peine à avalé puis décide de le laisser dormir alors je me cale dans un fauteuil non loin de son lit, laissant revenir mes souvenir d’enfance remonter. Je le vois souriant et amusé alors que je m’émerveille devant la naissance d’un veau. Je me rappelle ses doigts rugueux effleuré ma joues lorsque j’étais triste et les chants ancestraux près du feu de la cheminée les soirs où le froid frappait à notre porte. Je me rappelle les rires, les colères, les disputes alors qu’il voulait me voir mariée. Je me rappelle l’enfance heureuse qu’il m’ait permis d’avoir même si les guerres incessantes me faisaient craindre le pire. J’ai été élevé dans l’amour et la foi et je ne l’en remercierais jamais. Cette nuit-là, il a rendu son dernier souffle, a perdu le dernier combat, la dernière bataille.

De longs mois ce sont écoulés depuis. Le monde s’est obscurci ici-bas. Les dieux semblent avoir perdu leur foi en nous, tout comme moi et ne répondent plus à nos prières. Je me dévoue aux autres et à mes plantes, m’oubliant la plupart du temps, ne prêtant pas attention aux l’éventuelles avances de jeunes hommes. Rien à faire, je ne suis que bienveillance, douceur et compassion. Je guéris les blessés rentrant de bataille à travers mes onguents, donne un coup de main aux sages-femmes lorsqu’elles n’ont pas assez de main pour le faire, soigne les petits maux de ceux et celles qui me demande mon aide mais surtout j’écoute. Je les écoutes lorsque ceux-ci ont des vagues à l’âme. J’écoute ceux qui ont peur de cette nouvelle arrivée que celle des dieux. Ceux qui ont peur d’être punis, ceux qui croient au fait qu’ils sont là pour nous sauver. Je les écoutes. J’ai vu de mes prunelles l’arrivée du grand Tyr et de son escorte par le Bifröst. Je ne sais quoi penser de cette arrivée. La majorité se réjouie que les dieux soient parmi nous moi je ne sais pas. Cela ne me rassure pas. Puis j’écoute les récits parlant de sombres entités ravageant les hommes et les récits de batailles contre celles-ci. De géants sanguinaire et loup immense aux crocs acérés. J’ai conscience de leur présence sur terre, après tout l’odeur du feu, âcre et mortelle, ne trompe pas. Je n’ai pas peur de l’obscur destin qu’ils augurent. Je n’ai pas peur de mourir, la mort est une sœur que nous côtoyons tous, certains plus que d’autres certes mais nous la côtoyons tous. Et j’ai déjà vu trop d’homme revenir du combat sur des brancards de branches mort ou à moitié mort pour continuer de fermer les yeux sur ce qu’il se passe dehors. Je risque ma vie à chaque fois que je mets un pied hors des murs du village pour aller cueillir les herbes dont j’ai besoin. Je ne peux nier non plus à quel point le gibier se fait rare et à quel point l’hiver approchant va être rude. Aujourd’hui je ne suis qu’une pièce du puzzle, un pion sur l’échiquier de la vie. Je suis une âme esseulée au beau milieu d’un monde ravagé d’un mélange de guerre et de monstres mythiques que je pensais inexistants mais bien réels .N’étant pas une guerrière dans l’âme, je ne sais manier que l’arc( et encore de façon sommaire, juste de quoi savoir me nourrir) et ma pauvre dague, je me contente de faire ce que je fais de mieux, aider, soigner, écouter et avoir de la compassion. Peut-être la vie m’offrira-t-elle bientôt de plus grands et de plus beaux dessins ? Peut-être un dieu, une déesse ou un être supérieur croisera le chemin banal d’une humaine de mon acabits ? Tout ce que je peux dire, c’est qu’aujourd’hui je suis encore en vie malgré la férocité de l’environnement dans lequel je vis alors autant vivre.